Cher Gédéon
Vous ne m’aviez encore jamais conté vos copinages esthétiques, et autres flirts vingtiémiste. La stabilité bancale de la boussole vous défie. Un drôle d’oiseau, dirais-je. Au grès du vent, il a cette liberté contrainte et déstabilisante, la girouette. J’y sens bien là votre goût du loisir de la dérive, une méditation tournoyante. Je me souviens de votre atelier, le nid. Dans ce refuge où s’exprime la liesse créative, vous vous livrez à ce qui advient, vous engagez un travail de lâcher prise, donnant forme sans concession à la matière de la peinture. Les aléas de nos pérégrinations me laissent songeuses. J’y rencontre à nouveau Monsieur Teste. « C’était comme le sanctuaire et le lupanar des possibilités. L’habitude de méditation faisait vivre cet esprit au milieu – au moyen – d’états rares ; dans une supposition perpétuelle d’expériences purement idéales ; dans l’usage continuel des conditions-limites et des phases critique de la pensée... » Votre animal a l’aspect fragmentaire de l’essai de Valéry, le mystère anonyme, un refus d’être, une chose ou l’autre. Ou tout à la fois. Excluez le manichéisme, abolissez le dilemme – entendons, entre la peinture et la sculpture. Considérez des ensembles, et non plus des mots contraints au cadre de leur définition. Nous ne sommes pas ou plus ces concepts réduits au cadre, mais un entrecroisement de lignes, qui forment un tissu, des ramifications, des perspectives. Partez du point, et fusionnez ; tracez des lignes, et des îles infinies. Que votre boussole vous serve de guide, vers l’envol, et non de suspension. Voyons-y une
combinaison de combinés ; une absence de hiérarchie, un passé sans futur ni présent, la volonté totale d’un instant. « Sa peinture étant la vie, l’arbre, le rocher, la Vierge ont tous la même importance en même temps. Il n’y a pas de hiérarchie c’est ce qui m’intéresse. » dit Parinaud au sujet de Rauschenberg qui veille sur le nid. Corps morcelé, voile déchiquetée, où plane aussi le fantôme de González. Tzara roulé dans la peinture. Cela dit, à citer les grands noms, que pensez-vous de Redon ? Ce n’est point votre école, mais vous partagez là un bien beau pseudonyme. A n’en pas douter, vous connaissez vos forces et vos faiblesses, chapeau bas – tant que l’oiseau niche haut. Amicalement, A.J.